LE PONT DE MESSINE SUR LE POINT DE SE CONCRÉTISER ?

Publié le 4 octobre 2025 à 17:52

Le projet de pont suspendu connectant la Sicile à la Calabre, enjambant un bras de mer de moins de quatre kilomètres jusqu’ici traversé uniquement par ferry, pourrait bientôt voir le jour. Pour 9 euros l'aller-retour, il faudra 15 minutes en voiture.

C’est un projet vieux de plus de 50 ans, approuvé puis annulé de nombreuses fois, que le gouvernement actuel de Giorgia Meloni entend bien concrétiser. D'un montant de 13,5 milliards d’euros (15 avec les travaux d’accès ferroviaire et routier), il est présenté par le gouvernement italien comme un moteur économique et un atout stratégique pour la défense de l'Europe. Car le gouvernement italien voudrait bien s’en tirer à peu de frais en faisant passer le coût pharaonique du chantier en « dépense de défense » dans le cadre des engagements de l’OTAN, arguant que le pont facilitera le déplacement de troupes entre le continent et les quatre bases militaires siciliennes. Cependant le responsable du programme de défense à l’Institut des affaires internationales de Rome estime que ce pont n’a aucune utilité militaire.

La Calabre vue de Messine

Équipé de deux voies ferrées et de trois voies de circulation de chaque côté, le pont serait soutenu par quatre câbles tendus entre deux tours de 400 mètres de hauteur, offrant une portée de 3 300 mètres.  Grâce à ses infrastructures ferroviaires et routières, le pont pourrait permettre le passage de milliers de véhicules par heure et de 200 trains par jour à travers le détroit de Messine. Le gouvernement italien présente cela comme une véritable prouesse technique, capable de créer des milliers d'emplois et de désenclaver le sud de l'Italie, notamment la Sicile et la Calabre, qui figurent parmi les régions les plus défavorisées du pays. La construction devrait débuter en 2025 et se terminer au plus tôt en 2032.

Mais ce projet est loin de faire l'unanimité. Le coût est exorbitant et l’impact sur l’environnement énorme. En effet, le pont serait construit dans une zone marine protégée, d’une biodiversité exceptionnelle, et sur l’une des plus importantes routes migratoires d’oiseaux d’Europe. Le tracé traverse trois zones classées Natura 2000. Début août 2025, des associations environnementales ont déposé une plainte auprès de l'Union européenne, mettant en avant les nombreux risques liés à ce projet.

Par ailleurs, les risques géologiques dans cette zone située entre deux plaques tectoniques, sujette aux séismes, sont extrêmement importants. Le gouvernement italien garantit toutefois que la version finale prévoit un pont capable de résister à un séisme d'une magnitude de 7,1.

Les risques météorologiques existent également, le détroit de Messine étant régulièrement battu par des vents souvent très puissants.

De son côté, le collectif sicilien "No Ponte"  affirme qu’il serait préférable d’utiliser les fonds pour améliorer les infrastructures existantes sur l'île. Notamment pour améliorer les lignes ferroviaires qui sont dans un état catastrophique. Pour connaître un peu la Sicile, il est clair que ces 13 milliards seraient mieux employés pour aider ce territoire à sortir de la pauvreté.

Pour que ce projet soit autorisé, trois conditions doivent être réunies :

  • L’absence d’alternatives viables
  • L’existence de raisons impératives d’intérêt public majeur
  • La mise en œuvre de mesures compensatoires efficaces

Selon plusieurs ONG aucune de ces conditions n’est remplie. Pire, l’approvisionnement en eau du chantier sera lui aussi pharaonique. D'après les données du comité citoyen Noi vogliamo l’acqua del rubinetto (“Nous voulons de l’eau du robinet”), les travaux sur le pont nécessiteraient plus de 5 millions de litres d’eau par jour, ce qui équivaut à environ 67 litres par seconde. En Sicile, de nombreuses villes manquent d’aqueducs, et donc d’eau. Pour les écologistes italiens, dépenser 15 milliards d’euros pour ce pont n’est pas une priorité lorsqu’il n’y a pas de trains, d’usines d’épuration ou d’hôpitaux.

Stretto di Messina SpA, la société responsable du projet, soutient que les besoins en eau représenteront seulement 6 % de la consommation actuelle de Messine, et que de nouveaux puits fourniront 160 litres par seconde, créant ainsi un excédent de 93 litres par seconde pour la population durant les travaux. Elle s'engage également à accélérer la modernisation du réseau de distribution pour réduire les pertes. Cependant, les opposants soulignent que la réalité est très différente puisque 53 % de l'eau se perd en raison des fuites du réseau. Dans ce contexte, si on ajoute les ravages de la sécheresse comme en été 2024, les besoins en eau du chantier oscilleraient en réalité entre 15 et 20 % de l'eau disponible, bien loin des 6 % annoncés. Pour le comité, toute l'eau prélevée des puits identifiés pourrait donc être siphonnée par le chantier, au détriment des habitants déjà soumis à des périodes de rationnement. Selon les militants, le constat est sans appel : il n'y a pas suffisamment d'eau pour la construction de ce pont.

Malgré ces alertes, le gouvernement italien s’entête. Mais il lui reste à passer encore de nombreux caps avant que le projet voit concrètement le jour.

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